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Le débat a eu lieu et continue

A côté des cris, des invectives de part et d’autres, des campagnes de communications, des manifestations, il y a eu débat au sujet du mariage pour tous. Partout, pendant des mois, dans les journaux qui publiaient des courriers et des avis contradictoires, sur les plateaux de télé, au parlement, à travers des textes qui émanaient de personnalités dans les champs philosophique, anthropologique, droit, théologie… mais aussi des textes de personnes très diverses et notamment sur les réseaux sociaux, pendant des mois et des mois où chacun prenait position et indiquait les livres lus, les documentaires… Il y a eu débat, un débat passionnant et on trouvait partout des éléments de réflexion si on faisait l’effort d’y participer. Les Eglises locales et communauté qui ont osé le débat contradictoire ont vécu des temps d'échanges paisibles et féconds.

Beaucoup ont bougé dans un sens ou dans l’autre et le reconnaissent avec humilité.

D’hier à aujourd’hui.

La conception que nous avons de la relation homme-femme, de l’éducation des enfants et de leur place dans la société, du sacré et du profane, pour prendre quelques exemples, a peu à voir avec l’époque de Jésus. Et pourtant, on tue encore dans le monde ceux qui sont hors norme, on exclut de la communauté les « lépreux » en tout genre, on tue encore des femmes adultères et on cache ou tabasse des personnes handicapées mentales… Le combat qui a amené à prendre en considération l’existence et la vie des personnes homosexuelles a permis aussi de pointer et dénoncer la violence verbale ou physique qui s’exerce sur ceux qui sont déclarés anormaux ou déviants par d'autres. Et il est heureux d’entendre des personnes hostiles au mariage des personnes de même sexe dire haut et fort leur participation à ce combat et leur refus de toute forme de rejet et d’homophobie. Tous ceux qui ont été contre le mariage pour des personnes de même sexe ne sont pas des intégristes et des homophobes.

L’homosexualité n’est pas de l’ordre du péché

Cela dit, l’affirmation selon laquelle l’homosexualité est un péché est d’une grande violence à l’égard des personnes homosexuelles.

Certes, la foi et la relation au Christ nous appellent à dire le péché, à le nommer, et nous avons la responsabilité de le dénoncer et d'en dévoiler les conséquences en chacun de nous et dans le monde, en prenant le risque d’être mal reçu.

Mais dire le péché, ce n’est pas pointer les actes incompatibles avec une vie idéale de chrétien dont des élus connaitraient les contours. La liste de ces actes serait infinie pour chacun d’entre nous. Dévoiler le péché, c’est pointer les chemins que nous prenons qui ne mènent pas à la vie et au bonheur que Dieu veut pour les humains. Le péché n’est donc pas de l’ordre du « mal agir », mais du « mal-être », une attitude consciente de séparation des autres et de Dieu. Il ne se réduit pas à un ensemble de fautes morales. Il est un refus délibéré de vivre les deux commandements, aimer Dieu et aimer son prochain. Et c’est cette posture qui peut entrainer des comportements et des actes nuisibles et mauvais pour soi et les autres.

Ceux qui se servent des textes bibliques pour dire que l’homosexualité est un péché et ne mène pas sur un chemin de vie, peuvent-ils nous dire enfin quelles sont les conséquences dangereuses et mauvaises d’une relation homosexuelle pour les personnes concernées et pour la société ? En se mettant d’abord à l’écoute des expériences et témoignages de vie, et en évitant les discours trop théoriques et idéologiques.

De plus, il est important de souligner et de reconnaitre que certaines attitudes et comportements désignés comme des conséquences du péché, le sont dans un contexte ou une époque, et pas dans d’autres.

Par exemple, beaucoup de chrétiens admettent aujourd’hui que ce n’est pas une conséquence du péché d’avoir des relations sexuelles avant le mariage quand cela se vit dans une relation d’amour stable, dans un projet qui donne une place à la promesse, à la tendresse, au pardon…

Autre exemple, à la lumière de l’amour de Dieu, nous n’hésitons pas à dire que la mise en esclavage est du côté du péché, alors que Jésus et Paul n’ont jamais remis en question cette condition sociale.

Si on fait une lecture littéraliste de la Bible, rien ne justifie que les Eglises protestantes acceptent le divorce. C’est bien parce qu’elles insistent sur la grâce et le pardon qu’elles n’excluent pas et ne condamnent pas celles et ceux qui décident de se séparer et de recommencer une nouvelle vie.

L’apartheid a été justifiée la bible à la main et de nombreux chrétiens refusaient le mariage entre blancs et noirs, contre nature. Une société ne pouvait l’envisager et même le penser. L’ordre naturel était soi-disant en question.

Et on pourrait multiplier les exemples où des chrétiens, bible à la main, ont désigné les conséquences du péché chez les autres et sont parfois entrés en guerre. Cela ne signifie pas que la parole de Dieu et la volonté de Dieu changent selon les contextes, mais que Dieu appelle des femmes et des hommes là où ils sont avec leur culture, leur langue, leur coutume, à découvrir et à inventer les modes de vie qui témoigneront et rendront compte le mieux possible de l’amour de Dieu pour le monde. On ne dit pas et on ne vit pas la grâce de la même manière dans la persécution ou dans la paix, dans le bonheur ou le malheur… Les textes bibliques témoignent de la diversité des témoignages de ceux qui se battent pour vivre de cette grâce, malgré les jugements posés sur leurs comportements. Pourtant, ils sont les signes vivants que la grâce de Dieu et la foi suffisent pour être accueilli, pardonné, sauvé et béni.

Enfin, il ne faut pas confondre autorité des écritures, signifiant la primauté de ces textes écrits par des êtres humains croyants et inspirés, dans la vie des chrétiens et des communautés, et appelant une interprétation partagée à lumière de la vie et de la mort de Jésus-Christ ; et l’autorité des leaders d’Eglise ou d’un clergé qui imposerait à tous une seule interprétation des Ecritures qui ne veut pas dire son nom.

Une comparaison fausse

Il est surprenant et inquiétant de voir que de nombreux exemples utilisés pour parler du péché et de l’homosexualité pointent les comportements de ceux qui commettent le mal envers eux-mêmes ou envers les autres. Ces exemples n’ont rien à voir avec l’homosexualité. En effet, la femme adultère est dans le mensonge, le collecteur d’impôt est accusé de vol à cet époque, l’alcoolique n’est pas seulement dans un comportement mauvais pour lui, mais pris dans une maladie qui le détruit et détruit les autres autour de lui, celui qui veut le pouvoir écrase les autres par l’argent, la prostituée est dans un marché des corps… Ces comportements n’ont rien à voir avec la conjugalité des personnes homosexuelles, dans laquelle des femmes et des hommes, ensemble, essaient de construire une relation d’amour, de fidélité, de tendresse des corps et des cœurs.

Où est le mal et quel rapport avec les figures prises pour comparaison ?

On me rétorque souvent que la question prise ainsi, on peut tout accepter, puisqu’au nom de l’amour on pourrait accepter une relation conjugale entre la fille et son père, et même avec les animaux… ! Mais ce serait oublier que là encore, les exemples données évoquent des relations fondées  sur des inégalités : soumission à l’autre et rapport de dominant à dominé dans l’homosexualité dans l’Antiquité, confusions des fonctions symboliques et utilisation abusive de l’autorité parentale dans le cas de l’inceste, acceptation d’une inégalité dans les fonctions sociale chez le maître et l’esclave, différences d’intelligences avec les autres êtres vivants…)

Quel rapport avec le couple homosexuel où deux personnes consentantes et sur un pied d’égalité décident de vivre ensemble et de s’aimer, jusque dans le partage des corps, de prendre leur responsabilité et d’être protégés par la loi. Beaucoup ne mesurent pas la violence de certaines comparaisons, quand bien même, très sincèrement, ils aspirent à l’accueil et à l’amour du prochain quel qu’il soit et quelle que soit son identité sexuelle.

Un accueil inconditionnel d’une Eglise refuge

Au-delà de cette violence inconsciente de ceux qui pointent le péché là où il n’y est pas, ceux qui s’opposent sur la question du mariage et de la bénédiction pourraient se rejoindre dans la lutte contre l’homophobie et notamment à l’intérieur des Eglises, qui effectivement peuvent être des refuges.

Mais il faudra alors laisser de côté ces comparaisons blessantes pour que le refuge ne devienne pas un lieu de rééducation qui ne dirait pas son nom. L’accueil des Eglises a toujours été inconditionnel dans l’histoire : les protestants français qui se sont engagés dans l’accueil des persécutés ou exilés n’ont jamais cherché à les convertir. Si les Eglises veulent être des refuges, alors elles devront accueillir ceux qui viennent avec leur culture, leur religion, leur identité, leur choix de vie, sans condition. On peut accueillir explicitement au nom du Christ et témoigner de sa foi, sans chercher à utiliser cet accueil pour changer celui ou celle qui ne demande que le respect, ne se sent pas malade, ne fait pas plus de mal que d’autres, et cherche simplement à ce que son identité soit reconnue. On peut accueillir et témoigner, mais c'est Dieu qui donne la foi. Surtout que de nombreuses personnes homosexuelles sont chrétiennes et vivent leur relation à Dieu comme la plupart des autres membres de l’Eglise. Ceux qui parlent d’accueil des personnes homosexuelles sont-ils tous prêts à les accueillir pleinement comme croyants et comme membres actifs de l’Eglises ? Sont-ils prêts, avec le discernement de la communauté, à les appeler à vivre leur vocation au sein des Eglises ? Ou leur proposent-ils un accueil au rabais ?

De plus, l’identité des personnes homosexuelles et hétérosexuelles ne se réduit pas à leur sexualité, et nous accueillons et bénissons d’abord des femmes et des hommes. Trop de stéréotypes, de préjugés cherchent à enfermer chacune et chacun dans des cases. Le Christ a permis à ceux qu’on avait marginalisés à cause de leur handicap, statut social, fonction, à retrouver une vraie place au milieu des autres.

L’Evangile nous appelle à vivre une nouvelle identité en Christ qui n’efface pas tout ce que nous étions avant, mais renouvelle notre être et notre intelligence avec comme seul but de vivre l’amour de Dieu et l’amour du prochain, là où nous sommes et tels que nous sommes.

Non, les homosexuels se sont pas ceux qui ont chuté ou sont à terre, et qu’il faudrait relever plus que d’autres. Ils sont croyants, heureux, fidèles, mais aussi malades, dépressifs, comme tout un chacun. … Là encore la comparaison avec la maladie de la dépression pour parler d’une guérison possible de ces personnes est difficile à recevoir. Et il serait pertinent que ceux qui se soucient de leur guérison aillent aussi rencontrer les personnes homosexuelles qui vont bien et ne pas se contenter de recevoir celles et ceux qui cherchent un accompagnement, même si ce ministère d’écoute est essentiel au moment où l’homophobie grandit.

Bénir…

L’acte de bénir n’a rien à voir avec une sorte de validation d’un choix de vie des membres de l’Eglise par la communauté chrétienne.

Il s’agit d’oser un geste et une parole qui accompagnent des femmes et des hommes imparfaits et faillibles sur un chemin de vie. Un geste qui au nom du Christ reconnait qu’une relation authentique à Dieu et aux autres est vécue, et que cette relation permet de recevoir le bonheur que Dieu veut pour chacune et chacun. Oui, la bénédiction en Eglise est d’abord la bénédiction de Dieu à la suite de toutes les bénédictions bibliques où Dieu dit ce qui est bon pour l’homme. Et nous ne pouvons pas aujourd’hui nous mettre à la place de Dieu, et dire à sa place ce qui est bon et ce qu’il n’est pas.

Et c’est donc le Christ qui nous ouvre une voie nouvelle et nous montre par sa vie que la grâce de Dieu dépasse tout ce qu’on peut comprendre. Malgré leurs faiblesses et leur manque de foi et d’intelligence, soulignée plusieurs fois dans les évangiles, Jésus fait confiance à ses disciples pour poser des gestes d’amour et de grâce sur tous ceux qui prennent le chemin de la foi. Tous les hommes et toutes les femmes bénis vivent le bien et le mal et restent pécheurs, mais tous dans la foi, sont pardonnés, accueillis, sauvés… mieux, ils ont appelé à plus pécher, c’est-à-dire à ne plus se séparer de l’amour de Dieu, par des actes nuisibles pour eux-mêmes et pour autres. Les personnes homosexuelles sont comme les autres au bénéfice de cette grâce et destinataire de cet appel à la conversion.

Si Dieu nous demande de bénir même ceux qui nous persécutent, peut-être pouvons-nous aussi bénir ceux qui s’aiment ! Bénir, c’est dire à l’autre : « Rien ne pourra te séparer de l’amour de Dieu, va en confiance, et avec ce que tu es et avec ceux que tu aimes, fais tout ton possible pour vivre l’amour que Dieu a déposé en toi ». Bénir, c’est rappeler l’oeuvre de Jésus-Christ dans le monde et dans nos vies. Ceux qui refusent la bénédiction aux couples de mêmes sexes semblent se placer comme les seuls gardiens du bon dépôt (2 Tim.6), de l’enseignement laissés aux apôtres. Mais ils reconstruisent le système des pharisiens et des légalistes qui, au nom de la préservation de la tradition, ne sont plus capables de se laisser guider par l'Esprit-Saint pour aller guérir, accueillir, et témoigner de l’amour de Dieu. Ont-ils vraiment confiance dans l’œuvre efficace de Dieu dans le monde d’aujourd’hui, dans les cœurs, dans les histoires d’amour ? Il y a une dimension de joie et de reconnaissance dans la bénédiction. Ne sont-ils pas capables de se réjouir du bonheur de deux personnes qui s’aiment et de rappeler par un geste que Dieu se réjouit de la joie des hommes et des femmes lorsqu’elle est le fruit de la foi, de l’amour et de la fidélité ?

A la suite du Christ, se mettre à l’écoute des personnes et des histoires singulières…

Dans la relation d’amour homosexuelle, des personnes chrétiennes témoignent aujourd’hui du bonheur vécu dans leur couple, construit sur la Parole de Dieu. Certains oseront-ils, au nom de leur lecture de l’Evangile, par leurs paroles sur le péché et leurs fausses comparaisons,  mettre du doute et de la division dans un couple où se vit un amour fidèle, parfois depuis de nombreuses années ? Oseront-ils remettre en cause le témoignage de ceux qui s’aiment et ont un projet de vie commune, nourri de leur foi en Jésus-Christ ?  Oseront-ils aller dire à ces couples que leur choix est mauvais et qu’ils s’engagent sur un chemin qui ne mène pas à la vie ? Oseront-ils dire aux enfants des couples homosexuels que leurs parents doivent renoncer à vivre pleinement leur conjugalité, et risquer ainsi de briser le foyer dans lequel ces enfants grandissent et s’épanouissent ?

Ou oserons-ils et prendront-ils le risque devant Dieu, d’aimer et de bénir, de se réjouir avec ceux qui s’aiment, pour ne pas finir un jour prisonnier de leurs certitudes, aigris, se lamentant sur un monde perdu, alors que Dieu y apporte depuis le début et tous les jours, la joie de l’amour et de l’espérance.

Joël Dahan, Pasteur


Pour d’autres arguments et réflexions, et notamment bibliques et théologiques, de différents auteurs et des institutions protestantes qui réfléchissent sur ce sujet, consultez le site internet www.benissons.fr

  « Toi qui aimes ceux qui s’aiment… »