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énissons...

 


Chers frères et sœurs,

Une ligne rouge est franchie régulièrement par certains membres du nouveau mouvement des Attestants, notamment depuis le synode de Mai de l’Eglise protestante unie. Et si je vous écris, c’est parce que j’espère que votre mouvement est déjà un lieu de débat.

Depuis des mois, certains sèment le trouble dans les assemblées des Eglises et dans les cœurs.  Ils vont jusqu’à vivre et afficher leur non-reconnaissance de la foi de l’autre.

« Dites-vous post-chrétiens ! », « Rassurez-vous, chez les protestants réformés, il y a des chrétiens », « l’Epudf, une Eglise qui discute mais qui ne croit pas »  et j’en passe…

Avec des procès d’intention sur ceux qui ne liraient plus la Bible, ne prieraient plus… et qui auraient ainsi déviés du droit chemin ou du « chemin de vie ».

Que vous puissiez exprimer vos désaccords, contester mes interprétations, mon éthique, mes pratiques et même combattre mes idées, je le comprends.

Mais je n’accepte pas que vous mettiez en cause ma foi en Jésus-Christ.

Que faites-vous de ma lecture quotidienne des Ecritures, de ma relation de prière au Père et au Saint-Esprit, de l’amour de Dieu et pour Dieu que je vis au fond de mes entrailles et que j’essaie de vivre, peut-être maladroitement, peut-être plein d’erreurs, mais sincèrement. Que faites-vous de tout ce cheminement spirituel devant Dieu et avec les autres qui m’a amené à un jour considérer que le mariage entre deux personnes de même sexe pouvait être béni ?

Parce que je ne suis pas d’accord avec vous et que je n’ai pas la même lecture que vous, ne serais-je pas chrétien, converti, né de nouveau, ou autrement dit, renouvelé chaque jour par la grâce de Dieu ? Bref, au bénéfice de l’amour de Dieu et de sa Parole, qui, comme la pluie, ne remonte pas au ciel sans avoir eu un effet sur la terre (Esaïe).

Que connaissez-vous de l’amour qui me lie au Christ et ce qu’il a mis sur ma route comme signe de sa présence ? Ces expériences de ma vie dans lesquelles j’ai vu des personnes malades ou vulnérables véritablement changer de vie ou être apaisées grâce à l’amour de Dieu et le soutien d’une communauté, des jeunes retrouver un équilibre, des étrangers se reconstruire, des nouveaux membres de l’Eglise se réconcilier avec la vie et avec Dieu ? Et aujourd’hui, là où je suis, les plus petits, ceux que l’on repousse encore, témoigner de ce que peut être la dignité humaine et l’espérance au cœur de l’épreuve.

Mais savez-vous dans quels pas vous vous mettez en franchissant cette ligne rouge ? Ceux qui au nom de leur lecture de la Bible s’autorisent à dire qui est chrétien et qui ne l’est pas, qui est juste et ne l’est pas, qui est sur un chemin de vie ou ne l’est pas, bref, ceux qui se sont placés en juges, prenant la place de Dieu… 

Cette position de juge libère la violence et a permis à certains de me délivrer des « passeports pour l’enfer », des « malédictions », « des cordes au cou » etc.

A chaque fois que je lis ce genre de provocation, cela m’attriste profondément parce que je considère beaucoup d’entre vous comme des sœurs et frères…en Christ, participant à la même mission d’annonce de la Bonne nouvelle au quotidien.

J’ai d’ailleurs partagé avec certains d’entre vous des projets qui vont tous dans la même direction : témoigner de la foi qui nous anime pour plus de justice et de paix. Alors que nous étions déjà si différents, nous avons pu ensemble vivre l’Evangile auprès des jeunes, monter des projets autour de la musique, et avoir le souci du ministère de l’autre, pour ne donner que quelques exemples.  Je ne crois pas que la décision de mai dernier sur la bénédiction du mariage des couples de même sexe nous empêche aujourd’hui de continuer à vivre tout cela ensemble.

Et je crois même que c’est dans le service auprès des petits, première mission de l’Eglise, que nous pouvons nous retrouver, en considérant comme secondes et toujours révisables, à la lumière des Ecritures et de l’expérience, les formulations doctrinales. C’est en tout cas ce que je vis tous les jours à la Fondation John Bost avec les membres d’une équipe venant d’horizons ecclésiaux très différents, au service des résidents et patients.

J’aspire à vous retrouver malgré nos divergences, dans cette communion fraternelle que je trouve dans cette Eglise que j’aime et qui m’a aidé à me construire et m’a accompagné toute ma vie.

Mais je ne le peux pas si vous ne reconnaissez pas la foi qui m’anime et me considérez alors comme un inconscient quand je confesse le Dieu de Jésus-Christ, quand j’interprète la Bible et quand j’affiche mes convictions.

Je ne peux que vous exhorter à discuter et travailler ce sujet qui concerne notre communion.

Deuxièmement, il me semble que beaucoup vivent dans la peur des lendemains et inquiets pour l’avenir de notre Eglise.

Mais ne partageons-nous pas cette même espérance que tout n’est pas dans nos mains ? Le prophète Elie en a fait l’expérience, lui qui après avoir été le super prophète contre les faux dieux, se retrouve au fond d’une grotte, humble, démuni et à l’écoute, non pas de ce qui va enflammer le monde de la puissance de Dieu, mais de la brise légère et de la douceur de Dieu.(1 Rois 19)

Ne pourrions-nous pas témoigner ensemble dans cette humilité et cette douceur évangélique, que Jésus va pleinement vivre ? Cette faiblesse dans laquelle Paul dit trouver la force. Cette force d’aimer efficace, redoutable, active dont parle Martin Luther-King. Nos convictions peuvent être radicales, confessantes, combattantes, car Dieu vomit les tièdes (Ap.3.16). Mais dans la foi en Jésus-Christ nous renonçons à la violence et à la force pour gagner et surtout nous renonçons à sonder les cœurs à la place de Dieu et à juger. (Matth.7.1-5)

Depuis que je suis né, je n’ai vécu que dans des Eglises locales réformées en croissance. Mais elles avaient toutes choisi de ne pas céder à la mode, ni de céder aux opinions publiques majoritaires, qui aujourd’hui rejettent celui qui est différent, cherchent des lieux de replis identitaires, sacralisent le passé, forment des communautés refuges dans un monde hostile…

Face aux difficultés de notre Eglise, la tentation est grande de se tourner vers « ce qui marche » aujourd’hui : les frontières à renforcer, les théologies conservatrices, les éthiques légalistes… Oser prétendre avoir la connaissance du bien et du mal, dans un monde qui cherche, qui souffre, qui a peur, ça rassure et ça marche. Mais « Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait » écrit Paul (Rom 12), avant d’exhorter les chrétiens à ne pas être prétentieux et à prendre conscience de l’unité à vivre dans la diversité des dons et rôles dans l’Eglise. « Discerner » ce qui est bien, ne signifie pas ici décider ou attester de ce qui est bien, mais littéralement éprouver, tester, faire l’expérience de ce qui est bien, pour ensuite témoigner. Rien à voir avec une définition figée du bien et du mal.

Oui, ne vous conformez pas à ce monde qui aujourd’hui se replie, veut conserver, construire des murs avec l’appui d’une opinion publique apeurée. Sur quels renoncements théologiques nos Eglises de la Réforme grandiront-elles alors ?

La croissance des Eglises peut effectivement se faire par un retour à UNE vérité, un recentrage, un repli doctrinal et aux fondamentaux définis par des leaders plus que par le peuple de l’Eglise. Mais elle peut aussi se vivre lorsqu’une Eglise choisit d’accueillir les plus petits et les plus vulnérables, les rejetés, ceux qui subissent le mal et l’injustice, mais aussi ceux qui commettent le mal, et qui à la rencontre de la parole et de la communauté, trouvent ce fameux chemin de vie, que personne d’autres qu’eux-mêmes devant Dieu ne peut définir. L’accueil radical de celles et ceux qui en ont besoin se fait dans la gratuité et sans visée de croissance numérique, mais il se trouve que les Eglises qui décident de le vivre pleinement en parole et en actes, sont en croissance à tous les niveaux. Mais cet accueil est incompatible avec une formulation doctrinale figée de la foi chrétienne ou de l’Eglise.

Enfin, trois exemples sous forme de témoignages :

Lorsque j’étais étudiant en théologie, une chrétienne d’une autre Eglise est venue voir mes parents  pour leur dire que j’étais une cause de scandale. En effet, je vivais avec celle que j’aimais alors que je n’étais pas marié. Ma vieille grand-mère protestante était aussi dans l’incompréhension, mais elle, avait choisi d’accueillir ma future épouse avec douceur et de l’accueillir pleinement, geste que je vivais comme une bénédiction.

Si j’avais culpabilisé et écouté cette personne qui se revendiquait évangélique, ma foi et mon couple auraient été cassés et ébranlés et je n’aurais sans doute pas pu me marier quelques années plus tard et fonder une famille avec celle que j’aime et qui est aujourd’hui mon épouse.

Autre exemple, une jeune femme, veuve avec des enfants a rencontré un jour un autre homme veuf lui aussi avec des enfants.  Elle a immédiatement été exclue de son Eglise évangélique parce qu’elle avait péché par le simple fait qu’elle vivait avec lui hors des liens du mariage. « Mais des péchés comme celui-ci, me disait-elle, j’en aurais fait tous les jours ! »

Enfin, ce jeune adulte très actif en catéchèse dans son Eglise, qui a été écarté à cause de son homosexualité, puisque étant déclaré dans le péché, on avait décidé de ne plus lui donner de responsabilités.

Je ne souhaite pas que demain, au sein de L’Epudf, des membres de l’Eglise subissent ce type de pression.

Je pourrais aujourd’hui choisir de dire bien fort ce que je sais, asséner des certitudes, et me battre ainsi contre mes angoisses devant l’avenir. Mais je préfère dire ce que je crois simplement, avec ceux qui font confiance, qui cheminent, balbutient leur interprétation et leur foi, refusent le catastrophisme, se battent pour un avenir meilleur avec les forces qu’ils ont. La différence n’est pas entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, mais entre ceux qui montrent à d’autres le chemin de vie à prendre, et ceux qui marchent avec d’autres sur ce chemin de vie dont ils ne connaissent pas encore la destination finale, restant confiants dans celui qui les a appelés et qui est leur compagnon et leur guide.

Frères et sœurs en Christ, je vous exhorte de ne pas juger ces derniers. Ils font ce qu’ils peuvent,  travaillent eux-aussi tous les jours à l’annonce de la Bonne Nouvelle, et ne voient pas ce qu’apportent de plus ces attestations, ces plans de communication et ces stratégies de Réveil… Car l’Evangile nous le dit de différentes manières : seule la foi, vécue sous la grâce de Dieu, dans l’amour et au service du prochain, réveille et sauve.

Mais pour vivre cette foi ensemble, il faut accepter de nous reconnaître pleinement chrétiens les uns les autres et faire confiance ensemble à Celui qui nous inspire et nous guide.


Joël Dahan, La Force (24), Janvier 2016.

Lettre ouverte à mes sœurs et frères Attestants 
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