En janvier 2009, j'ai été amené à rencontrer le Comité national de La Mission populaire évangélique suite à la demande d'un couple, Eric et Guillaume, demandant une célébration avec prière de bénédiction. Deux ans après, il m'a été proposé de le rencontrer à nouveau pour faire un point. C'est ce bilan fait avec le CN que je partage ici.
Combien ?
Depuis cette date, trois célébrations de ce type ont eu lieu : après Eric et Guillaume, ce fut Brigitte et Marina, puis Monica et Aurélie. J'en prépare une actuellement.
Premier constat : une crainte commune au CN et à La Maison Verte était la « déferlante » de ce type de demandes une fois qu'il serait su qu'elles pouvaient se dérouler chez nous. Cela n'a pas été le cas. En fait, avant le PACS, ce type demandes étaient très nombreuses et accueillies par de rares Eglises (Eglise oecuménique CCL de Paris et MCC de Montpellier). Depuis, le nombre a énormément baissé : il semble que les personnes qui n'étaient en demande « que » d'une demande de reconnaissance sociale se « contentent » du PACS. Celles qui viennent ont une demande spécifiquement spirituelle.
Depuis janvier 2009, j'ai eu plus que ces quatre demandes. Mais certaines se sont bornées à une demande par mail sans suite. D'autres n'ont pas eu de suite quand il a été question de travail de préparation. Ensuite, j'en ai « aiguillé » certaines d'autres vers les autres lieux les pratiquant (il faut rajouter les Vieux-catholiques de Normandie aux deux églises évoquées ci-dessus). Je dois en tout avoir eu une dizaine de demandes, trois se sont donc concrétisées à La Maison verte.
Depuis que la MPEF a pris une décision en janvier 2009, les choses ont évolué du côté des Eglises réformées et luthériennes. Lors du synode commun de juillet 2009, les deux églises ont décidé de travailler sur des liturgies d'accueil pour les nouvelles formes de familles (dont les familles pacsées). Deux pasteurs (l'un à Salies de Béarn – 64 – l'autre au Foyer de l'âme à Paris) ont fait des bénédictions de couple de même sexe, avec l'accord de leur conseil, en informant leur Conseil régional, voir le président de l'ERF, sans réaction de réprimande. Une récente édition des journaux de la presse régionale protestante sur la question de la bénédiction des couples pacsés s'est fait écho de la bénédiction de Salies. Le dernier synode régionale Ile-de-France a voté un voeu demandant au CN de l'ERF de reprendre la question de la bénédiction des coupes pacsés. A cette occasion, plusieurs pasteurs ont témoigné du fait qu'ils avaient déjà fait des bénédictions « en secret » et souhaitaient sortir de cette clandestinité.
Quoi ?
La célébration est préparée avec le couple. Lors de 6 à 8 rendez-vous de une heure trente à deux heures par mois, nous travaillons en plusieurs étapes sur l'histoire de chacun et du couple, le projet du couple, les couples dans la bible, la bénédiction dans la bible et nous créons ensemble la célébration. (J'emploie cette méthode de « co-construction » pour toutes les célébrations dans le cadre d'un acte pastoral).
La célébration elle-même ne part pas d'une liturgie stéréotypée mais de ce qui s'est dégagé « au fond », suite au travail en commun. Ainsi, chaque célébration est unique.
Lors des trois célébrations déjà effectuées, quelques éléments se retrouvent.
La louange : pour les couples dire merci à Dieu pour leur rencontre, pour l'accueil qu'ont fait leurs amis et leur famille à leur histoire, l'accompagnement qu'ils leur offrent depuis est très important dans un contexte où l'homophobie est persistante et où l'accueil par les familles et le milieu professionnel n'est pas toujours évident.
L'expression et l'engagement dans le projet de couple : chacun dit à l'autre devant Dieu et l'assemblée ce qui s'est vécu jusque-là, ce qu'il vit actuellement et ce à quoi il s'engage par la suite. Le pasteur rappelle l'importance de la notion d'alliance dans la Bible et que nous sommes appelés à faire vivre sous des formes très diverses dans ce monde des alliances qui sont des miroirs et des « rendre grâce » à l'alliance que Dieu passe avec sa création, dont l'humanité.
La prière d'intercession : une prière pour porter le couple devant Dieu, une prière du couple pour le monde. Ce dernier élément me semble particulièrement important pour dire que le couple ne peut pas être « heureux tout seul », qu'il y a un danger à ce que tout couple ou toute famille soit refermée sur lui-même, et que la fécondité est aussi « pour le monde ».
La prière de bénédiction. En travaillant avec les couples, et précédemment avec le groupe biblique de La Maison verte, il nous est apparu que la bénédiction n'était pas – comme le laisse penser le sens populaire de « donner sa bénédiction » - un « blanc seing », une « autorisation », un « jugement », une « kasherout » : dans la bible des personnages sont bénis bien que païens (Potiphar, Pharaon, Cyrus) et donc pas vraiment « kasher »... La bénédiction de Dieu apparaît plutôt à la lecture de la Bible comme un soutien, une aide, un support à la personne ou au couple, une assurance de la présence de Dieu dans ce qu'ils vivront, dans leur marche dans la vie. Un soutien pour choisir la vie. Pour cette raison, les prières de bénédictions (le pasteur prie avec le couple pour demander à Dieu sa bénédiction) lors de ces trois célébrations se sont déroulées à la fin de la célébration, avant l'envoi et la prière de bénédiction avec l'assemblée.
Dans quel contexte ?
Ces célébrations prennent place dans la suite de l'histoire et du présent de La Maison verte. Dès la création du Centre du Christ Libérateur (CCL) en 1976, Charly Hedrich (alors pasteur de La Maison verte) a travaillé avec le Pasteur Doucet, des réunions du CCL s'y sont déroulées, d'autres associations chrétiennes homosexuelles y ont été accueillies au cours des années 80 et 90, le culte de reconnaissance de Caroline Blanco (successeur deJoseph Doucet au CCL) s'est déroulé à La Maison verte, etc. L'action se continue donc avec les acteurs d'aujourd'hui : La Maison verte participe, accueillant ou non, des initiatives pour la journée mondiale contre le sida le 1er décembre, lors de la journée mondiale contre l'homophobie le 17 mai, lors de la Marche des fiertés, des soirées de prière avec David et Jonathan. Ce travail se fait avec un collectif d'association homosexuelles chrétiennes, juives et musulmanes. Comme le travail commencé depuis peu avec les personnes sourdes et malentendantes, cela rentre dans l'idée générale que « à la Mission populaire on accueille tout le monde et en particulier ceux qui ne sont pas accueillies ailleurs », ce qui s'est traduit dans le texte de Dourdan par l'intégration de la notion d'inclusivité chère à La Maison verte. Dans une métropole comme l'Ile-de-France, cela signifie aussi les personnes homosexuelles ou les personnes handicapées.
Ce travail se fait dans une discussion permanente avec le Conseil (au sein duquel les désaccords ne sont pas tus, même si la compréhension réciproque sur ce sujet a beaucoup évolué au fil du temps), avec des discussions informelles avec les bénévoles (qui donnent des échos parfois positivement inattendus à des initiatives sur l'homophobie), avec du travail dans les groupes bibliques, dans le dialogue franc et décontracté avec les églises africaines accueillies etc.
Pour dire quoi ?
Je souhaiterais terminer en replaçant ces célébrations dans le cadre plus général des actes pastoraux à La Maison verte. Depuis juillet 2006, date de mon arrivée, j'ai eu l'occasion de célébrer également la bénédiction d'un couple à l'occasion de son mariage, une présentation, un baptême, deux enterrements au cimetière, un au crématorium, deux célébrations de souvenir et d'annonce de l'Evangile pour des personnes décédées. Une dominante de ces actes et des célébrations pour les couples homosexuels est que la plupart du temps (pas toujours), elles sont demandées à La Maison verte par des personnes qui souvent se sont éloignés des institutions écclésiales ou de la foi et pour qui dans le fond la demande est : « Y-a-t-il une parole pour moi ? » « Y-a-t-il quelqu'un pour nous accompagner dans ce passage ? ». Ils font appel à la Mission populaire parce que nous apparaissons comme un lieu prêt à y répondre en raison de notre engagement dans la réalité du monde et notre accueil de chacun comme il est. Les préparations – et la co-construction avec les personnes de la célébration - sont des occasions de retravailler leur foi, leurs questions d'existence avec les personnes. Les préparations pour les couples, quand il s'agit de couples éloignés de l'Eglise, deviennent de véritables catéchismes d'adulte. Les célébrations sont l'occasion d'annoncer l'évangile à des participants qui pour la plupart sont incroyants ou éloignés des églises. Quasi systématiquement, le retour est le même : « Je ne croyais pas que l'évangile/la religion c'était cela ». Dans ce travail d'actes pastoraux pour des personnes éloignées de l'Eglise, j'ai l'impression que c’est une part importante de mon travail de ma « mission » au sein de la Frat'.
Paris, le 19/01/2011
Stéphane Lavignotte
Pasteur de La Maison verte
Deux ans de bénédiction pour les couples de même sexe à
«La Maison verte.»